« Il y a des moments si merveilleux

que l’on voudrait que le temps s’arrête.

Et tu te demandes pourquoi cette nuit-là te démesure »


Texte exprimant la mémorable soirée du 30 mai 2009, organisée par Jérémie Giles dans le plus grand secret, respecté par les cent personnes réunies à l'Hôtel Chicoutimi, où Christiane Laforge a été reçue membre de l'Ordre du Bleuet.

Imaginez! Pendant 38 ans, vous gagnez votre vie à écrire sur les artistes. Vous êtes payée pour vibrer devant les œuvres créées par des êtres possédés, uniques, si forts et si fragiles à la fois. Pendant 38 ans, vous apprenez à les aimer, formée que vous êtes par un maître qui, sans chercher à museler l’idéaliste, vous a dit : «Christiane, n’oublie jamais que ce sont des humains pour qui cela est toute leur vie. Ton article va durer deux heures. Ses conséquences vont durer toute leur vie.» (Jacques Collard, écrivain et critique d’art du Pourquoi Pas à Bruxelles)

Imaginez! La tête pleine de souvenirs, le cœur riche d’amitiés nées de ces rencontres professionnelles, vous écrivez: «C’est le temps de partir». Par courriel ou par téléphone, ils sont nombreux à vous dire «On te regrettera!»

Imaginez! Le samedi 30 mai 2009, l’inattendu survient. Une centaine de personnes, artistes de toutes disciplines, diffuseurs, communicateurs, représentants du monde de la culture ont répondu à l’appel du maître du jeu Jérémie Giles et accueillent une Christiane éberluée en entonnant «C’est à ton tour…». J’ai gagné ma vie à écrire sur leur passion, leurs œuvres, leurs réalisations. Et ce sont eux qui me remercient!

Carol Néron, éditorialiste au Quotidien - porte-parole officiel et très enthousiaste des absents, Michel Simard président éditeur du Progrès du Saguenay et Denis Bouchard rédacteur en chef - a ouvert le «déluge» de témoignages qui n’a cessé de la soirée. Je retiens de son discours sa certitude de mon amour pour la langue française. Bertrand Tremblay «mon ex»… rédacteur en chef, toujours chroniqueur au Quotidien, «navigateur assidu d'Orage sur Océan» affirme-t-il, a su illustrer à la fois les faits d’armes les plus forts d’une carrière, citant des extraits d’un texte sur la mort annoncée d’un artiste connu, et les côtés joyeux d’une amie prompte à partager les rires des turbulents épicuriens du club C'est pas facile du Deauville. L’humour «pieux» de l’unique Hélène Beck a finalement confirmé l’humeur joyeuse de cette soirée, tout en décrétant, sans contestation possible, que la petite Belge a réussi à s’intégrer. «Elle est des nôtres… » a chanté la réputée artiste peintre de Chicoutimi. Paroles lues, paroles dites, mots écrits et lettres cueillies à la fin de la soirée, messages publics, messages privés, je me sens comme un arbre au printemps dont les branches bourgeonnent. J’ai vécu un chant d’accueil bien plus qu’un au revoir. Guy Tay a mis en peinture toute la symbolique des liens que tissent les mots, après en avoir usé lui-même avec éclat pour évoquer le parcours d’une journaliste. Micheline Hamel et Yvon Gaudreault ont été les chefs de chœur pour un canon incroyablement flatteur sur l’air de Frère Jacques. Élaine Girard a retrouvé un micro, le temps de quelques missives, comme si cela se passait pour vrai à la radio. Et Lison Hovington, visage emblématique des belles heures de la télévision régionale, a lu des extraits de Cœur innombrable avec tant de talent que j’aurais pu envier l’auteur de ces textes.

La soirée, dont ceci n’est qu’un résumé, s’est terminée par l’annonce officielle de la création de la Société de l’Ordre du bleuet, laquelle société accueillait ce 30 mai 2009 son tout premier membre. Hommage qui sera décerné chaque année à des artistes et défenseurs du patrimoine artistique et culturel au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Depuis samedi 30 mai, je n’ai plus de mots. Ils tourbillonnent dans ma tête, esquivant mon désir de s’en emparer pour dire que j’ai connu…

un moment si merveilleux… et cette nuit-là me démesure.

Merci de tout cœur à chacun de vous pour cet inoubliable 30 mai 2009

***

jeudi 17 juin 2010

Discours de Jérémie Giles, fondateur de l'Ordre du Bleuet, le 30 mai 2009, concernant le premier Membre de l'Ordre

 

 


S’il est un doute impossible c’est bien le talent littéraire de cette petite fille devenue grande qui affirmait, avec l’assurance qu’on lui connaît : « Quand je serai grande je serai homme de lettres. » Elle avait 7 ans et déjà sa passion pour les mots dominait tout. Il n’y avait jamais assez de livres dans la maison pour la contenter, alors elle écrivait ses propres histoires. Ses aventures imaginaires l’emportaient sur les mers à la recherche de ce père parti en Amérique en quête d’une vie meilleure où faire venir sa famille.

 

Née le 24 mars 1948 à Vielsalm, en Belgique, Christiane Laforge a seulement 3 ans quand elle découvre le sens du mot arrachement. Au départ du père, rescapé des camps de concentration allemands, peintre et restaurateur de tableaux anciens, personne ne se doute qu’il faudra 6 longues années avant que sa femme, ses trois fils et sa fille accostent au port de Québec. Un ami du père la recueille quelques mois. Gravement malade, l’enfant est rendue à sa mère qui ne peut en prendre soin et la confie à sa sœur aînée. En deuil de ses père, mère et frères, Christiane ne sera pas facile à apprivoiser. Pourtant un lien très fort se créera avec sa tante Hélène qui saura la conquérir par les livres et l’écriture donnant naissance à la future écrivaine et journaliste. Christiane a 9 ans quand elle apprend que toute la famille part pour le Québec. Elle mettra des années à se consoler de ce nouvel arrachement qui, loin de se traduire par la réunion de toute la famille l’isole de nouveau, alors qu’elle passera 5 années au pensionnat Saint-Dominique de Jonquière.  Dans cet univers clos, elle met à profit son talent : ses rédactions font le tour des classes, ses poèmes et ses chansons lui valent une certaine popularité et, sa force de conviction convainc les religieuses de la laisser écrire et mettre en scène des pièces de théâtre. Elle y découvre une autre passion : le piano.

 

Quand enfin, la fermeture du pensionnat lui offre l’opportunité de vivre avec sa famille, elle découvre auprès de son père artiste, l’univers de la peinture. Pour l’aider, sa mère lui offre la chance de suivre des cours, mais écrire demeure sa grande passion. Elle écrit des scénarios de films, de nombreux poèmes dont un premier recueil « Écoute » sera publié en 1968 aux Éditions La Frégate. Elle tient avec succès des récitals de ses poèmes dans des écoles, des salles de spectacle, des galeries d’art dont un fort remarqué au Centre d’art Manicouagan de Hauterive. Dans ses écrits, on y retrouve bien de ses blessures, une soif d’aimer, une volonté de vivre et une lucidité troublante pour ses 18 ans :

 

 La mort a voilé de son ombre

Tout ce que j’ai aimé

Et dans mon âme des décombres

Se sont peu à peu amassées

 Si la mort a tué

 Ce que la vie a trahi

 Que me reste-t-il? 

 

Ses études collégiales terminées, Christiane retourne en Belgique avec ses parents. Le but est d’organiser une tournée d’exposition des œuvres de son père Jean Laforge. Elle fréquente les galeries d’art, rencontre des artistes et des journalistes, créent des amitiés. Alain Viray poète et journaliste à la Libre Belgique, Paul Caso critique d’art du journal Le Soir et écrivain, Jacques Collard, écrivain et critique d’art de la revue Pourquoi pas? Celui-ci devient son mentor et supervise un long stage en critique d’art visuel au cours duquel elle devra commenter plus de 20 expositions chaque semaine. Elle fréquente le Grenier aux chansons de Jane Tony, cabaret consacré aux chansons et à la poésie où Jacques Brel a fait ses débuts.

 

Avant son départ, en 1968, elle avait proposé au rédacteur du Progrès Dimanche, Roch Desgagnés, de lui envoyer une chronique intitulée Comme mes yeux voient. La publication de ces texte et l’expérience acquise lors de sa formation en critique d’art lui ouvrent les portes du journalisme. Cela commence par le classement des photos, le secrétariat de rédaction. Jacques Cayer l’initie à la mise en page. Quand le PDG, Gaston Vachon lui signale qu’il n’y a plus de travail pour elle, elle le défie prête à prouver que du travail, elle elle en voit. Très vite, on lui confie les pages dites féminines qu’elle transformera en écrits sur la condition des femmes, puis on ajoute à sa tâche les pages consacrées aux arts. Elle crée la section, Arts et société qui vaudra un prix à sa remplaçante, pendant une suspension pour manque de soumission. À la création du journal Le Quotidien, le directeur Denis Tremblay sollicite son retour. Sa carrière prend son envol. Quatre premiers prix du jury des hebdos, première femme du Prix du journalisme Auguste Béchard de la Société nationale des québécois, et prix Jules Fournier du Conseil supérieur de la langue française du Québec pour la qualité de ses écrits.

 

Tout ce temps, elle publie avec succès plusieurs livres : Cœur innombrable, Éditions JCL, 1999. Yvonne Tremblay-Gagnon – La femme devenue, Éditions JCL, 1994.  Saguenay–Lac Saint-Jean, Éditions du Gaymont, 1988 (1er Prix national Audette Lebrun.) Notre histoire à petits pas, (avec Mona Gauthier), Éditions du Gaymont 1987. Au-delà du paraître, Éditions du Gaymont, 1978. Jean Laforge, Éditions du Gaymont, 1972 (1er prix Mgr Victor Tremblay). Me taire… pour parler, Éditions du Gaymont, 1971. Écoute, Éditons La Frégate, 1968. Et plusieurs participations à des recueils collectifs.

 

Comédienne à ses heures, notamment pour Les Grands Revenants du Carnaval Souvenir de Chicoutimi, elle a donné de nombreuses conférences, elle a fait partie de plusieurs jurys, elle a présidé plusieurs organismes et manifesté un dévouement sans borne à défendre et promouvoir les arts, démontrant une fidélité et une grand foi à l’égard de sa région d’adoption. En témoignent ses mots qu’elle a écrit sur son blogue Orage sur Océan :

 

Il y a le pays d'origine, non choisi, inscrit dans la destinée. Pour certains privilégiés, il y a le pays choisi. J'appartiens plus sûrement à la terre saguenéenne que si j'y étais née. C'est le pays de mon âme. Celui qui s'est emparé de mon cœur, a façonné mon esprit.

 

Aucune offre professionnelles n’a pu la convaincre de quitter son Fjord , ainsi qu’elle décrit sa région. Pendant 38 ans, elle s’est consacrée à dynamiser la vie artistique, à en mieux faire connaître l’histoire, à s’engager pour la défense des droits des femmes et des hommes,. Christiane est un personnage qui symbolise on ne peut mieux ce qui caractérise nos Bleuets constructeurs d’une société créative. Avec vous tous, ce soir, nous l’accueillons au sein de ce nouvel Ordre honorifique à titre de tout premier Membre de l’Ordre du Bleuet.


30 mai 2009

Chicoutimi



 

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