S’il est un doute impossible c’est bien le talent littéraire de cette petite fille devenue grande qui affirmait, avec l’assurance qu’on lui connaît : « Quand je serai grande je serai homme de lettres. » Elle avait 7 ans et déjà sa passion pour les mots dominait tout. Il n’y avait jamais assez de livres dans la maison pour la contenter, alors elle écrivait ses propres histoires. Ses aventures imaginaires l’emportaient sur les mers à la recherche de ce père parti en Amérique en quête d’une vie meilleure où faire venir sa famille.
Née le 24 mars 1948 à Vielsalm, en Belgique, Christiane Laforge a seulement 3 ans quand elle découvre le sens du mot arrachement. Au départ du père, rescapé des camps de concentration allemands, peintre et restaurateur de tableaux anciens, personne ne se doute qu’il faudra 6 longues années avant que sa femme, ses trois fils et sa fille accostent au port de Québec. Un ami du père la recueille quelques mois. Gravement malade, l’enfant est rendue à sa mère qui ne peut en prendre soin et la confie à sa sœur aînée. En deuil de ses père, mère et frères, Christiane ne sera pas facile à apprivoiser. Pourtant un lien très fort se créera avec sa tante Hélène qui saura la conquérir par les livres et l’écriture donnant naissance à la future écrivaine et journaliste. Christiane a 9 ans quand elle apprend que toute la famille part pour le Québec. Elle mettra des années à se consoler de ce nouvel arrachement qui, loin de se traduire par la réunion de toute la famille l’isole de nouveau, alors qu’elle passera 5 années au pensionnat Saint-Dominique de Jonquière. Dans cet univers clos, elle met à profit son talent : ses rédactions font le tour des classes, ses poèmes et ses chansons lui valent une certaine popularité et, sa force de conviction convainc les religieuses de la laisser écrire et mettre en scène des pièces de théâtre. Elle y découvre une autre passion : le piano.
Quand enfin, la fermeture du pensionnat lui offre l’opportunité de vivre avec sa famille, elle découvre auprès de son père artiste, l’univers de la peinture. Pour l’aider, sa mère lui offre la chance de suivre des cours, mais écrire demeure sa grande passion. Elle écrit des scénarios de films, de nombreux poèmes dont un premier recueil « Écoute » sera publié en 1968 aux Éditions La Frégate. Elle tient avec succès des récitals de ses poèmes dans des écoles, des salles de spectacle, des galeries d’art dont un fort remarqué au Centre d’art Manicouagan de Hauterive. Dans ses écrits, on y retrouve bien de ses blessures, une soif d’aimer, une volonté de vivre et une lucidité troublante pour ses 18 ans :
La mort a voilé de son ombre
Tout ce que j’ai aimé
Et dans mon âme des décombres
Se sont peu à peu amassées
Si la mort a tué
Ce que la vie a trahi
Que me reste-t-il?
Ses études collégiales terminées, Christiane retourne en Belgique avec ses parents. Le but est d’organiser une tournée d’exposition des œuvres de son père Jean Laforge. Elle fréquente les galeries d’art, rencontre des artistes et des journalistes, créent des amitiés. Alain Viray poète et journaliste à la Libre Belgique, Paul Caso critique d’art du journal Le Soir et écrivain, Jacques Collard, écrivain et critique d’art de la revue Pourquoi pas? Celui-ci devient son mentor et supervise un long stage en critique d’art visuel au cours duquel elle devra commenter plus de 20 expositions chaque semaine. Elle fréquente le Grenier aux chansons de Jane Tony, cabaret consacré aux chansons et à la poésie où Jacques Brel a fait ses débuts.
Avant son départ, en 1968, elle avait proposé au rédacteur du Progrès Dimanche, Roch Desgagnés, de lui envoyer une chronique intitulée Comme mes yeux voient. La publication de ces texte et l’expérience acquise lors de sa formation en critique d’art lui ouvrent les portes du journalisme. Cela commence par le classement des photos, le secrétariat de rédaction. Jacques Cayer l’initie à la mise en page. Quand le PDG, Gaston Vachon lui signale qu’il n’y a plus de travail pour elle, elle le défie prête à prouver que du travail, elle elle en voit. Très vite, on lui confie les pages dites féminines qu’elle transformera en écrits sur la condition des femmes, puis on ajoute à sa tâche les pages consacrées aux arts. Elle crée la section, Arts et société qui vaudra un prix à sa remplaçante, pendant une suspension pour manque de soumission. À la création du journal Le Quotidien, le directeur Denis Tremblay sollicite son retour. Sa carrière prend son envol. Quatre premiers prix du jury des hebdos, première femme du Prix du journalisme Auguste Béchard de la Société nationale des québécois, et prix Jules Fournier du Conseil supérieur de la langue française du Québec pour la qualité de ses écrits.
Tout ce temps, elle publie avec succès plusieurs livres : Cœur innombrable, Éditions JCL, 1999. Yvonne Tremblay-Gagnon – La femme devenue, Éditions JCL, 1994. Saguenay–Lac Saint-Jean, Éditions du Gaymont, 1988 (1er Prix national Audette Lebrun.) Notre histoire à petits pas, (avec Mona Gauthier), Éditions du Gaymont 1987. Au-delà du paraître, Éditions du Gaymont, 1978. Jean Laforge, Éditions du Gaymont, 1972 (1er prix Mgr Victor Tremblay). Me taire… pour parler, Éditions du Gaymont, 1971. Écoute, Éditons La Frégate, 1968. Et plusieurs participations à des recueils collectifs.
Comédienne à ses heures, notamment pour Les Grands Revenants du Carnaval Souvenir de Chicoutimi, elle a donné de nombreuses conférences, elle a fait partie de plusieurs jurys, elle a présidé plusieurs organismes et manifesté un dévouement sans borne à défendre et promouvoir les arts, démontrant une fidélité et une grand foi à l’égard de sa région d’adoption. En témoignent ses mots qu’elle a écrit sur son blogue Orage sur Océan :
Il y a le pays d'origine, non choisi, inscrit dans la destinée. Pour certains privilégiés, il y a le pays choisi. J'appartiens plus sûrement à la terre saguenéenne que si j'y étais née. C'est le pays de mon âme. Celui qui s'est emparé de mon cœur, a façonné mon esprit.
Aucune offre professionnelles n’a pu la convaincre de quitter son Fjord , ainsi qu’elle décrit sa région. Pendant 38 ans, elle s’est consacrée à dynamiser la vie artistique, à en mieux faire connaître l’histoire, à s’engager pour la défense des droits des femmes et des hommes,. Christiane est un personnage qui symbolise on ne peut mieux ce qui caractérise nos Bleuets constructeurs d’une société créative. Avec vous tous, ce soir, nous l’accueillons au sein de ce nouvel Ordre honorifique à titre de tout premier Membre de l’Ordre du Bleuet.
30 mai 2009
Chicoutimi
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